Lundi
27/01/2014
Dimanche,
de la Bastille aux Invalides, c’était Jour de colère.
Alors ils sont tous venus, la carpe et le lapin, de
Sarcelles à Versailles, avec leur colère en bandoulière, sous une pluie
assortie à leur humeur. 17.000 selon la
police, 160.000 selon les organisateurs. Des
organisateurs que personne ne connaît. Car aucun parti politique, aucun mouvement d’envergure, ni
bonnets rouges ni LMPT, n’a appelé à manifester. Le succès n’en est que plus
inattendu, déconcertant, inquiétant… À cette manif un peu foutraque, pas de
« tenue correcte », ni de carton d’invitation exigé à l’entrée. On y vient
dans son jus, comme on est, avec la pancarte qu’on s’est bricolée sur un coin
de table. Suffit d’être en colère. C’est le principe.
Beaucoup de jeunes, énormément de jeunes.
Derrière la banderole « lycéens et étudiants en colère », il y a les
Hommen. Une trentaine de jeunes gens marchent symboliquement enchaînés par un
homme casqué en scooter
…
Au-dessus de leur pantalon coloré, ils sont torse nu, certains grelottent, mais ils crient
pour se tenir chaud. Dans la foule qui marche, les slogans sont souvent drôles,
parfois graveleux, actualité oblige. Hasard de manif, des mères de familles
cathos marchent derrière un « Pendant
que la France part en c… Hollande
promène les siennes ». Si vous croyez que ça dérange les petites dames… La respectabilité, le bon goût,
l’impression que l’on va faire au 20 h sur
les médias de bon aloi, on finit par s’en
battre les roupettes, justement. Parce que quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, on
aura toujours tout faux. Parce que même en mettant un tutu rose, en faisant les
pointes devant la caméra, en ayant l’air jeune, sympa, sexy et ouvert d’esprit,
on sera toujours un facho. Parce que quand la maison brûle, on ne fait pas
taire le p’tit gars qui crie « au feu » avec vous, sous prétexte
qu’il mettrait ses coudes sur la table ou aurait fait une quenelle au lycée.

Car des quenelliers, il y en avait
quelques-uns. Et même des quenelliers « de la diversité ». Mais quel
était donc le ciment de cette manif bigarrée ? Quel était donc
l’improbable point commun entre Renaud Camus, Christine Boutin, des militants
LMPT et des aficionados de Dieudonné venus de la banlieue ? La détestation
de Hollande, bien sûr… Et surtout une immense soif de liberté d’expression.
Quand un jour l’étau se sera desserré – s’il se desserre un jour –, n’ayez
crainte, tout ce monde-là
se remettra sur la gueule. Mais en attendant, ils partagent leur colère.
Hollande, au moins, aura réussi ça. Le « vivre ensemble » pour des
populations aux antipodes. La cohésion négative. Aux fenêtres des « beaux
quartiers », comme dit Aragon, des électeurs d’Anne Hidalgo leur font
parfois des « doigts ». Puis rentrent en fermant soigneusement les rideaux
.
Comme si cette colère qu’ils méprisent leur faisait vaguement peur.

À
l’arrivée, place Vauban, les orateurs n’en sont pas. Mais dans leurs discours,
ils déballent leurs tripes… Le chômage, l’exclusion, la famille persécutée, les
impôts. La mère de famille succède à l’étudiant, le chômeur au petit patron.
Hollande ne veut pas les entendre ? Eux ne veulent plus le voir. Il faut
qu’il parte. Démocratiquement. Avec l’énergie un peu folle du désespoir. Car
ils croient avoir trouvé la faille, le biais, l’issue de secours :
l’article 68 de la Constitution qui permet aux deux Assemblées d’engager la
procédure de destitution du président de la République pour « manquement
grave ». Et pour convaincre les députés, Béatrice Bourges entame une grève
de la faim au Mur pour la Paix, sur le Champ-de-Mars. Jusqu’au départ de
Hollande. Portée par la colère de ces milliers de manifestants.
À 18 h, l’ordre de dispersion est lancé. À 18 h 10,
les forces de l’ordre bloquent les avenues donnant sur la place et balancent
les premiers gaz lacrymogènes. Pour apaiser la colère, sans doute ? Les
grands médias,
eux, n’ont rien vu, rien entendu. Quelle manif ? Quelle colère ?
Préfèrent parler du dîner de gala à Bombay de madame Trierweiler que du jeûne
de madame Bourges.
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